CJIP avec Exclusive Networks : analyse d’une pente glissante…
Le 16 juin 2025, une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été conclue entre le Parquet national financier et la société Exclusive Networks Corporate SAS dans le cadre d’une enquête pour corruption d’agents publics étrangers et corruption d’agents privés.
Résultat : 16,07 millions d’euros d’amende et 3 ans de mise en conformité sous l’œil de l’AFA. Une affaire qui permet d’illustrer le scénario de risque typique des fonds marketing dans la vente indirecte
Les faits, survenus entre 2016 et 2022, concernent la distribution de solutions IT (cybersécurité) en Asie du Sud‑Est et en Inde.
À l’origine de cette affaire : un signalement d’alerte interne datant de 2021, révélant des paiements réalisés entre 2016 et 2022 par plusieurs filiales du groupe en Asie du Sud-Est et en Inde, à destination de partenaires contractuels.
Ce dossier permet d’illustrer le risque de détournement des « fonds de co-marketing » ou « marketing developement funds » (MDF) versés aux revendeurs, distributeurs ou partenaires dans un modèle de vente indirecte. Ce scénario est identifié depuis plus de 15 ans par le DOJ (Department of Justice) et la SEC (Securities and Exchange Commission) dans de nombreuses procédures visant, notamment, les acteurs technologiques américains : il reste d’actualité.
De la pratique commerciale aux poursuites pour corruption…. Voici notre analyse de cette pente glissante !
- Une pratique commerciale qui a prouvé sa pertinence
Dans la vente indirecte, l’industriel cofinance des actions marketing menées par le partenaire revendeur : salons, campagnes digitales, tournées clients, etc. Le partenaire au plus près du terrain engage mieux les fonds et gère la lourdeur de l’exécution. Le schéma est gagnant – gagnant et notamment au cœur de succès story de la tech américaine.
- Le début de la pente glissante
Progressivement les prestations marketing ne sont pas réellement exigées tant que les objectifs de vente sont faits. Les MDF deviennent un moyen occulte d’améliorer la marge du partenaire sans baisser officiellement les prix. C’est déjà à ce stade une fraude comptable puisque les fonds devraient être comptabilisés en ristourne au lieu d’être une charge. La lecture de la performance de l’entreprise par le management est faussée.
- La perte de contrôle
Une fois la contrepartie considérée par tous comme fictive mais « c’est normal dans ce business », il devient trop facile de détourner les fonds :
- Fraude par le salarié en collusion avec le partenaire,
- Ou, pire, constitution de caisses noires destinées à des pots‑de‑vin.
Le mécanisme est connu et banalisé au sein des équipes commerciales car « c’est la responsabilité du partenaire »
Besoin de contourner un seuil de cadeau, d’inviter un décideur à un voyage de rêve ? Il « suffit » de créer une facture de co‑marketing gonflée ou inexistante plus personne ne se préoccupe de la matérialité de ces dépenses. Les MDF sont alors transformés par le partenaire en billets d’avion, loisirs, cash, etc.
- Toc, toc, ceci est une perquisition
Autorités (DOJ, PNF, SFO) – ou audit interne – réclament la preuve des dépenses marketing passées. Si elles ne peuvent prouver directement des faits de corruption, elles vont attaquer sans l’angle de la non-sincérité des comptes financiers.
- Comptable : « Nous avons payé sur facture conforme avec un bon à payer du commercial. »
- Commercial : « Je ne garde pas les mails de cette époque, si j’ai donné mon bon à payer c’est que le partenaire m’a affirmé avoir fait l’activité marketing convenue, c’est son problème. Tout ça ne me regarde pas. »
Moralité : Dans les sociétés ayant eu à suivre des programmes de mise en conformité, ces processus sont identifiés dans la cartographie des risques et encadrés par des contrôles comptables spécifiques pour pouvoir toujours « suivre l’argent » c’est-à-dire pouvoir justifier de l’utilisation finale de fonds décaissés par l’entreprise. Les entreprises les plus matures réussissent à garantir cette traçabilité. Certains de nos clients ont mis en place ces dispositifs avec succès.
Autres points d’intérêts dans cette CJIP
- Les facteurs aggravants vs. atténuants : la grille du Parquet national financier (PNF)
- Aggravants : taille du groupe, récurrence des faits, insuffisance du programme de conformité, création d’outils de dissimulation.
- Atténuants : mesures correctives, enquêtes internes pertinentes, coopération active, efficacité du système d’alerte, reconnaissance des faits.
Comprendre cette balance aide à prioriser les actions correctrices avant qu’une crise n’éclate.
- Le défaut de la gouvernance qui a tout bien identifié et fait mais sans que le terrain n’arrête les mauvaises pratiques
- L’alerte au PNF, lancée par un compliance officer
Pour en savoir plus :
-> Consulter la CJIP signée : https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/sites/default/files/2025-07/250616_CJIP%20signée.pdf
Pierre de Montera
pierre.de-montera@proetic.fr